Les granules de stress, de petits organiques cytoplasmiques qui se développent sous l’effet du stress cellulaire, ont déjà été impliqués, en raison de leur fonction cytoprotectrice, dans l’évolution tumorale et métastatique de certains cancers. Cette nouvelle étude décrypte un peu plus leur implication, en particulier en cas d’obésité, dans le développement du cancer du pancréas. Ces travaux, menés à l’Université Thomas Jefferson, publiés dans Cancer Discovery, désignent ainsi une nouvelle direction pour le traitement de ce cancer difficile à traiter : inhiber la formation de ces granules de stress.
Les granules de stress qui constituent une réponse extrêmement courante au stress cellulaire n’ont été prises en compte que ces dernières années dans le développement des cancers. L’équipe de Philadelphie montre ici qu’elles pourraient en effet être la clé du cancer du pancréas chez les personnes obèses.
On sait que l’obésité est un facteur de risque pour au moins 13 types de cancer, en partie parce qu’elle crée une inflammation chronique de bas grade. Pendant des années, les scientifiques se sont interrogés sur d’autres mécanismes possibles. Cette nouvelle recherche révèle une nouvelle voie par laquelle l’obésité peut entraîner la formation tumorale, ici dans le cancer du pancréas.
Cette découverte est d’autant plus importante que le cancer du pancréas est difficile à détecter, diagnostiqué souvent tardivement, difficile à traiter et à mauvais pronostic : avec une survie à 5 ans de 11% pour la majorité des patients. En relevant l’abondance de granules de stress dans le cancer du pancréas lié à l’obésité et en montrant qu’en bloquant leur formation, il est possible de bloquer la croissance du cancer, la recherche révèle une nouvelle voie thérapeutique.
Les granules de stress se forment à la suite d’une exposition à un stress cellulaire, dans un objectif cytoprotecteur : la cellule génère ces organites non membranaires en réponse au stress et pour se protéger de l’autodestruction induite par le stress. C’est un réflexe cellulaire et un mécanisme de défense présent chez les animaux et les végétaux.
« Même les plants de tomates produisent des granules de stress pour protéger leurs cellules ».
Cependant, les scientifiques ignorent toujours de quoi sont faits ces organites et comment ils protègent exactement la cellule. De nombreuses études ont néanmoins permis de constater que les cancers ont coopté ce mécanisme de défense à leur avantage. De nombreux cancers produisent des niveaux beaucoup plus élevés de granules de stress que les cellules normales, pour protéger les cellules cancéreuses contre le déclenchement d’une séquence d’autodestruction naturelle.
Ainsi, ces dernières années, ces granules ont été plus largement impliquées dans la progression de certains cancers, ainsi que dans la chimiorésistance des tumeurs.
« La recherche sur les granules de stress explose en ce moment,
mais nous ignorons encore beaucoup de choses sur leur composition, leur rôle et leur fonctionnement », commente l’auteur principal, le Dr Grabocka, chercheur au Sidney Kimmel Cancer Center et professeur à l’Université Thomas Jefferson. « Cette étude est la première à suggérer qu’une surabondance de granules de stress favorise la croissance tumorale dans le cancer du pancréas. Nos expériences sur des souris modèles montrent qu’il est possible d’inverser ce processus ».
L’étude : l’équipe montre sur la souris, modèle de cancer du pancréas génétiquement modifiée pour bloquer la formation de granules de stress, que :
- la croissance du cancer est réduite d’environ 50 % ;
- chez 2 types de souris modèles de cancer et d’obésité, l’un génétiquement prédisposé à la suralimentation et l’autre nourri avec un régime riche en graisses, les granules de stress sont 5 à 8 fois plus abondantes dans la tumeur vs chez les souris non obèses : cela suggère que les cancers chez les souris obèses pourraient dépendre des granules de stress pour leur croissance ;
- lorsque la formation des granules de stress est bloquée, le cancer est éliminé : « les résultats ont été vraiment surprenants. La croissance du cancer est réduite à 1/20e de la croissance observée chez des souris obèses pouvant produire normalement des granules de stress » ;
- lorsque les granules de stress sont bloquées, la survie globale augmente considérablement : normalement, ces modèles souris de cancer du pancréas meurent très rapidement, en 50 à 60 jours. Chez les souris obèses dont les granules de stress tumoral sont bloquées, 40% sont exemptes de cancer à 1 an ;
- les granules de stress ne sont pas seulement présentes dans les cellules cancéreuses, elles s’avèrent en fait à l’origine de la croissance du cancer.
« Il s’agit de la première preuve directe reliant les granules de stress à la progression du cancer ».
Des cibles thérapeutiques ? Les chercheurs ont déjà identifié certains composés qui pourraient arrêter la formation de granules de stress dans le cancer du pancréas lié à l’obésité. Les prochaines étapes vont consister à tester des inhibiteurs existants pour voir s’ils peuvent faire l’objet d’une utilisation chez l’Homme.
« les facteurs de stress cellulaire, comme l’obésité, augmentent le nombre de granules de stress présents dans les cellules et peuvent entraîner la formation de cancers du pancréas et d’autres cancers. Parce que l’effet que nous observons est important, nous pensons que cibler la formation des granules de stress constitue une nouvelle voie thérapeutique contre le cancer ».
Source: Cancer Discovery 19 Sept, 2022 DOI: 10.1158/2159-8290.CD-21-1672 Stress Granules determine the Development of Obesity-associated Pancreatic Cancer